MRM Insights : Thérapies géniques uniques – changer une base à la fois

Dre Raquel Cuella Martin

Chaque mois, dans les MRM Insights, un membre du Réseau MRM écrit sur les cellules souches et la médecine régénérative d’un point de vue différent. Ce mois-ci, la Dre Raquel Cuella Martin, Professeure adjointe en génomique fonctionnelle au Centre de génomique de McGill, nous parle des thérapies géniques uniques.

Thérapies géniques uniques : changer une base à la fois

En 2013, la technologie CRISPR / Cas9 a été utilisée pour la première fois pour modifier le génome humain. Plus de dix ans plus tard, je suis toujours émerveillée de voir où cette technologie peut nous mener. Aujourd’hui, la réécriture de base prend le devant de la scène, aidée par un léger parti pris de ma part.

Les éditeurs de base sont le résultat d’une ingénierie élégante des protéines. Fusionnez une nickase Cas9 avec de la cytidine et de l’adénosine désaminases et obtenez des substitutions de bases C˃T, A˃G et C˃G à l’emplacement génomique où l’ARN guide unique (ARNg) le prendra (1-5). Le côté positif, c’est que les éditeurs de base inséreront des mutations avec une grande efficacité, même dans les cellules diploïdes. Et plus de cassures d’ADN toxiques causées par Cas9. En revanche, les mutations hors cible sont toujours présentes, à la fois dans l’ADN et l’ARN.

Si la technologie CRISPR/Cas9 a déjà créé des remous dans le domaine de la thérapie génique, les éditeurs de base vont plus loin. Est-il possible de simplement corriger les mutations pathogènes chez l’homme ? Peut-on concevoir une mutation ponctuelle et inverser durablement les phénotypes de la maladie chez les patients atteints de troubles génétiques ?

En 2021, nous avons assisté à un succès préclinique dans l’utilisation du criblage d’édition de base pour le traitement de l’hypercholestérolémie familiale (6,7). Les auteurs ont ciblé PCSK9, un gène qui régule le renouvellement du récepteur du cholestérol à lipoprotéines de basse densité (LDL) et, par conséquent, l’absorption du cholestérol LDL. La raison : des études génétiques avaient révélé que l’invalidation du gène PCSK9 chez l’humain causait des niveaux quasi négligeables de cholestérol LDL dans le sang et une protection contre les maladies cardiovasculaires (8). L’injection intraveineuse de nanoparticules lipidiques portant un éditeur de base d’adénosine et un ARNg ciblant le site d’épissage de l’exon 1 de PCSK9 a entraîné une efficacité d’édition de 70% dans le foie de souris (6,7). Chez les singes cynomolgus, une efficacité d’édition de 63% a été observée dans le foie, avec des réductions associées de 81 et 65% des taux sanguins de PCSK9 et cholestérol LDL respectivement (6). Dans l’étude initiale, les singes ont été suivis pendant 8 mois, avec une réduction stable de PCSK9 et du cholestérol LDL (6). Une surveillance plus longue a permis de signaler des réductions stables au jour 476 sans transmission germinale de l’édition somatique (9).

Il y a quelques semaines à peine, l’édition de base a été appliquée à une autre maladie génétique, l’amyotrophie spinale (AMS). L’AMS est la principale cause de mortalité infantile, causée par la perte homozygote du gène SMN1. En l’absence de SMN1, son homologue presque identique SMN2 peut partiellement compenser la perte. Cette « quasi-identité » est causée par une mutation sur le site d’épissage de l’exon 6 de SMN2 entraînant une perte de l’exon 7 et une stabilité réduite des protéines. Les traitements de l’AMS sont disponibles selon deux principes : i) le remplacement génique ou ii) favoriser l’inclusion de l’exon7 sur le gène SNM2. Bien qu’efficaces, ces traitements (incroyablement !) coûteux nécessitent une administration répétée tout au long de la vie du patient.

Un traitement en une fois est-il possible pour les patients atteints d’AMS ? Les laboratoires Kleinstiver et Liu ont offert quelques idées ici (10,11).

Les deux groupes se sont concentrés sur la « correction » du gène SNM2 comme stratégie pour restaurer un transcrit SMN compétent, quelle que soit la mutation SMN1 portée par le patient. L’éditeur de base d’adénosine et l’ARNg ciblant la mutation du site d’épissage SNM2 ont été intégrés dans un système d’adénovirus (AAV9) qui infecte spécifiquement les neurones. L’injection intra-cerebroventriculaire du traitement de réécriture de base dans un modèle murin SMA a entraîné une correction efficace des mutations pour jusqu’à 37% des allèles SNM2 dans les motoneurones spinaux (11). Les phénotypes de la maladie dans les motoneurones spinaux ont également été atténués et la durée de vie prolongée de ~33%. Des résultats encourageants malgré une mise en garde majeure : le mécanisme intrinsèquement lent de la réécriture de base entrait en conflit avec la fenêtre thérapeutique réduite pour le traitement de l’AMS chez la souris. Pour contourner cela, le laboratoire Liu a proposé la combinaison du traitement de réécriture de base avec la thérapie antisens nommée nusinersen, approuvée par la FDA. L’idée étant que l’action rapide du nusinersen augmentera rapidement les niveaux de SMN et étendra la fenêtre pour que l’éditeur de base puisse insérer la modification permanente. Ils ont tiré le gros lot ! Les résultats ont été considérablement améliorés. La durée de vie des souris éditées a été multipliée par 10, et elles étaient équivalentes à celles des souris saines pour 33 paramètres de la fonction motrice (11).

Ces résultats nous rapprochent de la promesse de traitements précis et ponctuels pour les troubles génétiques. Des essais cliniques de phase I d’un traitement de réécriture de base pour l’hypercholestérolémie familiale recrutent d’ailleurs actuellement… Je suppose que nous devrons juste attendre de voir les résultats !

 

Références

1. Komor AC, Kim YB, Packer MS, Zuris JA, and Liu DR (2016). Programmable editing of a target base in genomic DNA without double-stranded DNA cleavage. Nature 533, 420-424.
2. Gaudelli NM, Komor AC, Rees HA, Packer MS, Badran AH, Bryson DI, et al. (2017). Programmable base editing of A•T to G•C in genomic DNA without DNA cleavage. Nature 551, 464-471.
3. Zhao D, Li J, Li S, Xin X, Hu M, Price MA, et al. (2021). Glycosylase base editors enable C-to-A and C-to-G base changes. Nat Biotechnol 39, 35-40.
4. Kurt IC, Zhou R, Iyer S, Garcia SP, Miller BR, Langner LM, et al. (2021). CRISPR C-to-G base editors for inducing targeted DNA transversions in human cells. Nat Biotechnol 39, 41-46.
5. Koblan LW, Arbab M, Shen MW, Hussmann JA, Anzalone AV, Doman, JL et al. (2021). Efficient C•G-to-G•C base editors developed using CRISPRi screens, target-library analysis, and machine learning. Nat Biotechnol 39, 1414-1425.
6. Musunuru K, Chadwick AC, Mizoguchi T, Garcia SP, DeNizio JE, Reiss CW, et al. (2021). In vivo CRISPR base editing of PCSK9 durably lowers cholesterol in primates. Nature 593, 429-434.
7. Rothgangl T, Dennis MK, Lin PJC, Oka R, Witzigmann D, Villiger L, et al. (2021). In vivo adenine base editing of PCSK9 in macaques reduces LDL cholesterol levels. Nat Biotechnol 39, 949-957.
8. Cohen JC, Boerwinkle E, Mosley TH Jr, and Hobbs HH (2006). Sequence variations in PCSK9, low LDL, and protection against coronary heart disease. N Engl J Med 354, 1264-1272.
9. Lee RG, Mazzola AM, Braun MC, Platt C, Vafai SB, Kathiresan S, et al. (2023). Efficacy and Safety of an Investigational Single-Course CRISPR Base-Editing Therapy Targeting PCSK9 in Nonhuman Primate and Mouse Models. Circulation 147, 242-253.
10. Alves CRR, Ha LL, Yaworski R, Lazzarotto CR, Christie KA, Reilly A, et al. (2023). Base editing as a genetic treatment for spinal muscular atrophy. BioRxiv, 524978.
11. Arbab M, Matuszek Z, Kray KM, Du A, Newby GA, Blatnik AJ, et al. (2023). Base editing rescue of spinal muscular atrophy in cells and in mice. Science eadg6518. Epub ahead of print.

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