MRM Insights : Aller et retour – le voyage fantastique des cellules souches mélanocytaires

Dre Katie Cockburn

Chaque mois, dans les MRM Insights, un membre du Réseau MRM écrit sur les cellules souches et la médecine régénérative d’un point de vue différent. Ce mois-ci, la Dre Katie Cockburn, Professeure adjointe au Département de biochimie à l’Institut du cancer Rosalind et Morris Goodman (ICG), nous parle du voyage fantastique des cellules souches mélanocytaires.

Aller et retour : le voyage fantastique des cellules souches mélanocytaires

Le renouvellement remarquable des cellules dans le corps humain est soutenu par des populations de cellules souches résidentes dans les tissus. Bien qu’elles soient très distinctes en termes de sites de résidence, de cinétique comportementale et de profils d’expression génique, ces populations sont souvent considérées comme fonctionnant selon un ensemble de principes unificateurs centrés sur une relation hiérarchique entre les cellules souches et leurs filles plus différenciées (1). Des travaux récents de Sun et coll. contribuent à renverser ce dogme, du moins dans le cas des cellules souches mélanocytaires (2).

La vision traditionnelle des cellules souches résidentes dans les tissus, établie à l’origine par l’étude du système hématopoïétique, suggère que cette population est unique dans sa capacité à s’auto-renouveler et à donner naissance à une descendance différenciée (3). On pense généralement que la dernière de ces deux fonctions, la différenciation, se produit de manière unidirectionnelle, avec des cellules souches capables de générer des cellules différenciées, mais pas l’inverse. Cependant, au cours de la dernière décennie, les données provenant de différents tissus ont commencé à révéler que ce ce n’était pas aussi simple. Dans l’intestin grêle, l’estomac et la trachée, les cellules souches endommagées peuvent être remplacées par des cellules différenciantes voisines qui fon machine arrière et redeviennent des cellules souches véritables (4–6). Il est toutefois important de noter que ces exemples de dédifférenciation ont principalement été associés à des blessures et à la réparation des tissus. Dans les tissus homéostatiques, le retour d’une cellule différenciée vers une cellule souche n’a pas été considéré comme une partie normale du programme de régénération.

La cellule souche mélanocytaire (melanocyte stem cell, McSC) entre alors en jeu. Chez la souris, les McSC résident dans les follicules pileux, où elles donnent naissance aux mélanocytes matures qui donnent aux cheveux leur couleur. Les approches traditionnelles de traçage de lignée ont soutenu un modèle dans lequel les McSC dans la partie supérieure du follicule pileux (une région connue sous le nom de renflement) donnent naissance à des mélanocytes qui migrent vers le bas, vers la région de production de cheveux (appelée bulbe pileux), où ils sécrètent un pigment pour colorer la tige naissante du cheveu (7, 8). Cependant, ce modèle provient d’approches statiques traditionnelles, où l’on utilise des instantanés de follicules pileux individuels à différents moments dans le temps pour déduire les relations de lignée et les mouvements cellulaires qui se produisent dans l’espace et le temps. Bien que ces approches aient conduit à des connaissances incroyables sur la régénération tissulaire dans une vaste gamme de systèmes, nous sommes forcément passés à côté de certains aspects du comportement des cellules souches.

Pour interroger ce processus sous un autre angle, Sun et coll. ont génétiquement marqué des McSC uniques et utilisé l’imagerie intravitale longitudinale pour suivre les mêmes follicules pileux et les mêmes cellules marquées sur des périodes allant jusqu’à deux ans (2). Grâce à cet exploit incroyable, ils ont découvert une série d’événements inattendus: ce sont en fait les McSC elles-mêmes qui descendent et s’éloignent du renflement, et ce faisant, commencent à se différencier. Sun et coll. ont confirmé cette différenciation à la fois au niveau de la morphologie cellulaire, qui devient hautement dendritique, mais aussi au niveau transcriptionnel par séquençage d’ARN unicellulaire ainsi que fonctionnellement en démontrant que ces cellules peuvent sécréter des pigments. Cependant, de manière frappante, ces McSC se dédifférencient ensuite, perdant leur morphologie dendritique et désactivant les gènes associés à la pigmentation lorsqu’ils remontent vers la région du renflement du follicule. La démonstration que ces cellules se différencient à plusieurs reprises puis se dédifférencient dans les tissus homéostatiques, et que ce processus cyclique est essentiel pour leur fonction physiologique, est un paradigme entièrement nouveau sur la façon dont les cellules souches peuvent se comporter.

Comment ces McSC migratrices couplent-elles leur position changeante dans le follicule à leur statut de différenciation ? Sun et coll. démontrent que cela se produit par des différences dans la signalisation Wnt dans les régions supérieures et inférieures du follicule. La signalisation Wnt est connue depuis longtemps pour entraîner la différenciation des mélanocytes, et les ligands Wnt sont spécifiquement sécrétés par les cellules épithéliales dans la partie inférieure du follicule pendant la croissance des cheveux (7, 9). En activant constitutivement Wnt dans les McSC, Sun et coll. montrent que ces cellules peuvent encore migrer vers le haut, mais qu’elles ne parviennent pas à se différencier et à maintenir la production de pigment. Grâce à une approche génétique plus élégante, Sun et coll. démontrent que ce sont bien les cellules épithéliales dans le follicule qui sécrètent les ligands Wnt clés qui amènent les McSC à initier la différenciation spécifiquement pendant qu’elles restent dans la partie inférieure du follicule.

Enfin, Sun et coll. montrent que le comportement cyclique des McSC a un impact sur la couleur des cheveux au cours du vieillissement. Ils constatent qu’au fil du temps, la capacité des McSC à revenir au bon endroit dans le follicule supérieur peut se déteriorer, et elles commencent de plus en plus à se retrouver à un endroit légèrement plus élevé qu’elles ne devraient l’être. Dans ce nouvel emplacement, elles sont beaucoup plus susceptibles de rester au repos et ne produisent pas les mélanocytes générateurs de pigments nécessaires au maintien de la couleur des cheveux. Plus elles subissent un cycle de dédifférenciation et de migration, plus ces cellules risquent de se retrouver au mauvais endroit et de perdre leur capacité à générer des mélanocytes fonctionnels. Ainsi, l’histoire de vie unique des McSC peut être l’une des raisons pour lesquelles le grisonnement des cheveux est l’un des premiers signes du vieillissement (2).

Que pouvons-nous apprendre l’histoire des McSC et de leur parcours remarquable ? Tout d’abord, sur le plan pratique, cette connaissance sans précédent de la façon dont la fonction des McSC se déteriore a des implications importantes pour le vieillissement. Si nous pouvons trouver un moyen de ramener les McSC au bon endroit de façon plus précise dans le follicule pileux lorsqu’elles migrent vers le haut, nous pourrons peut-être trouver de nouveaux traitements pour prévenir le grisonnement des cheveux. Mais sur un plan plus philosophique, les résultats de Sun et coll. fournissent un soutien supplémentaire à l’opinion émergente selon laquelle il n’y a vraiment pas une seule façon d’être une cellule souche (1, 10). Dans ce cas, le dogme selon lequel les cellules ne peuvent que se différencier avec le temps ne s’applique clairement pas. Au lieu de cela, la structure, l’organisation et la cinétique uniques de chaque tissu dictent probablement comment les cellules résidentes se renouvellent au fil du temps.

Et enfin, à mon humble opinion, le message à retenir du travail de Sun et coll. est que vous ne savez jamais avec certitude jusqu’à ce que vous regardiez ! Même lorsqu’il existe des modèles bien établis sur la façon dont un processus biologique particulier se produit, nous pouvons presque toujours apprendre quelque chose de nouveau en mettant de côté nos idées préconçues et en regardant simplement ce qui se passe. L’utilisation sans cesse croissante de l’imagerie intravitale comme outil pour suivre les cellules souches au fil du temps dans les tissus vivants (11, 12) ne manquera pas de révéler d’autres voyages inattendus dans les années à venir.

 

Références

1. Y. Post, H. Clevers, Cell Stem Cell. 25, 174–183 (2019).
2. Q. Sun et al., Nature. 616, 774–782 (2023).
3. S. H. Orkin, L. I. Zon, Cell. 132, 631–644 (2008).
4. M. Leushacke et al., Nat Cell Biol. 19, 774–786 (2017).
5. J. H. van Es et al., Nature cell biology. 14, 1099–1104 (2012).
6. P. R. Tata et al., Nature. 503, 218–223 (2013).
7. P. Rabbani et al., Cell. 145, 941–955 (2011).
8. E. K. Nishimura et al., Nature. 416, 854–860 (2002).
9. V. Greco et al., Stem Cell. 4, 155–169 (2009).
10. K. Tai, K. Cockburn, V. Greco, Current Opinion in Cell Biology. 60, 84–91 (2019).
11. Q. Huang et al., Cell Stem Cell. 28, 603–622 (2021).
12. S. Park, V. Greco, K. Cockburn, Current opinion in cell biology. 43, 30–37 (2016).

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