MRM Insights : Le Réseau MRM – Où en sommes-nous et quelle est la prochaine étape ?

Michel L. Tremblay, Ph.D., F.R.S.C., C.Q.

Chaque mois, dans MRM Insights, un membre du Réseau MRM écrit sur les cellules souches et la médecine régénérative d’un point de vue différent. Ce mois-ci, Michel L. Tremblay, Professeur dans le Département de Biochime au Centre de recherche sur le cancer Goodman et Directeur du Réseau MRM, fait le point sur le Réseau de Médecine Régénérative de McGill.

Le Réseau de Médecine Régénérative de McGill : Où en sommes-nous et quelle est la prochaine étape ?

Introduction

Chers collègues et amis du MRM,
Cela fait maintenant plus de deux ans que le MRM a été officiellement établi à McGill. Nous avons travaillé diligemment pour faire avancer les « engagements » que nous avons énoncés dans notre plan stratégique à la Faculté de médecine et des sciences de la santé et qui ont été approuvés par le Sénat. J’ai l’audace d’écrire qu’ensemble, nous avons accompli la plupart de ces engagements. Il est à savoir qu’une partie importante de notre mission était d’identifier et de reconnaître les chercheurs dans les domaines des cellules souches et de la médecine régénérative à McGill et dans ses Instituts de recherche. Au cours des deux dernières années, avec notre coordonnatrice, la Dre Marine Christin, nous avons établi et maintenu notre excellent site web en plus d’être présents sur les médias sociaux tels que LinkedIn et Twitter. Ce sondage indique que nous avons 113 chercheurs principaux et avec les étudiants et le personnel, plus de 570 membres du Réseau. Il s’agit de personnes de cinq facultés différentes ( Médecine et sciences de la santé, Génie, Sciences, Dentaire et Droit) situées dans 25 départements différents. Nous sommes également présents avec de nombreux membres actifs dans six Instituts de recherche de McGill (CUSM, ILD/HGJ, Neuro, Douglas, Shriners et ajoutés à cela, le nouvel Institut du cancer/CRCG).

Nous avons également contribué aux efforts d’autres organisations afin de promouvoir les cellules souches et la médecine régénérative au Canada. Cela comprend le Réseau canadien des cellules souches (RCS) pour lequel nous avons parrainé des chercheurs principaux de McGill dans le cadre de leur programme de subventions de projet et en finançant des bourses de voyage et d’inscription pour les étudiants des cycles supérieurs et les post-docs pour assister aux réunions Till & McCulloch. Quant à ThéCell (Réseau québécois des cellules souches FQRS), nous partageons de nombreux chercheurs dans nos activités et nous avons maintenant accepté d’organiser et de lancer un projet de partenariat pour le printemps 2022. Notre communauté MRM devrait être très fière de ces réalisations, car nous avons fait progresser l’impact et la visibilité de nos recherches et atteint les principaux objectifs que nous avions fixés dans le plan stratégique. Bien sûr, la pandémie du COVID a eu un grand impact sur nos activités, mais nous avons maintenu des séminaires, des concours de prix, développé un programme de formation et plus encore.

Dans la section restante de cette lettre, j’aimerais répondre aux questions et aux interrogations qui, pour bon nombre d’entre vous, ne sont pas encore claires sur le positionnement passé, actuel et futur du MRM.

Pourquoi McGill devrait-elle prendre en compte et investir dans la médecine régénérative ?

Selon la définition des National Institutes of Health, « la médecine régénérative est un processus de création de tissus fonctionnels vivants pour réparer ou remplacer la fonction tissulaire ou organique perdue en raison de l’âge, de la maladie, des dommages ou des malformations congénitales ». Nous l’avons utilisée pour notre réseau en raison de la portée plus large des activités que la médecine régénérative implique contrairement aux « cellules souches ». Maintenant que nous comprenons ce que nous englobons, une question juste à examiner est de savoir pourquoi McGill devrait être présente dans ce domaine de recherche ?
Pour apporter une réponse courte à cet interrogation, nous devons d’abord examiner la portée et la croissance dynamique de ce domaine scientifique. Une réponse simple serait que la médecine régénérative est directement concernée par le vieillissement et la pluralité des maux qui y sont associés. Les maladies neurodégénératives, les lésions du cartilage et de l’ostéoporose osseuse, la cachexie générale chez les personnes âgées, ne sont que la pointe de l’iceberg des maladies ciblées par la recherche en médecine régénérative. Mais il y a beaucoup plus en jeu, y compris un nouveau domaine d’effort commercial auquel le Canada doit faire participer son système universitaire. Un domaine qui se développe rapidement et qui est déjà impliqué dans tous les domaines des applications biomédicales, des produits de beauté, de la consommation alimentaire et plus encore…

Depuis les premiers jours de la manipulation des cellules souches chez les mammifères, nous avons maintenant une croissance remarquable de multiples technologies de cellules souches et de leur utilisation dans la médecine de base et appliquée. De 2010 à aujourd’hui, le nombre de publications biomédicales au cours de cette période a augmenté de près de 5 % par année. Le nombre de revues consacrées aux cellules souches et à la médecine régénérative s’est également élargi, tous les grands éditeurs créant de nouvelles revues (Cell – Stem Cell, Stem Cells, Stem Cells Reports et plus de 30 autres titres). Pourtant, c’est dans les secteurs privés que nous avons connu le développement le plus important. Les sociétés spécialisées en cellules souches et médecine régénérative ont, au cours de la même période de 2010 à aujourd’hui, atteint une croissance de 9 % de leurs investissements par an et continuent d’augmenter. À l’exemple de son émergence majeure dans les succès de l’aérospatial, le secteur privé a été extrêmement compétitif et ingénieux dans l’étude et l’avancement des technologies utilisant des cellules souches dans le domaine de la médecine régénérative. D’après le travail d’un groupe de surveillance web (BioPharmGuy), plus de 360 entreprises dans le monde sont entrées dans ce domaine, dont 38 sont cotées sur les marchés boursier les plus importants NASDAQ , Tokyo, Londres…

La pléthore de ces nouvelles start-ups et produits pharmaceutiques majeurs sont engagés dans la génération d’une grande diversité de tissus humains, vers la régénération des peaux, cartilage, os, cellules pancréatiques, neurones, cellules immunitaires et produits sanguins, entre autres. En outre, il est également très attrayant pour l’esthétique, la beauté et les produits contres le vieillissement avec des cibles telles que l’amélioration de la croissance des cheveux, le traitement des rides, le remplacement des dents, et pour l’utilisation de nombreux autres produits dérivés de cellules souches qui deviennent également la cible d’intérêts de recherche universitaires et industriels. Une autre mesure des progrès réalisés par les cellules souches et la médecine régénérative est l’augmentation rapide des études sur les essais cliniques, avec un décompte récent de 160 essais cliniques actuellement en cours dans le monde.

Cellules souches pluripotentes induites (CSPI) ou cellules souches adultes

Avec la croissance des essais cliniques et de la commercialisation, un débat plus large se fait maintenant dans les universités et les entreprises. Lequel des champs de cellules souches sera le plus productif et le plus sécurisé : les CSPI ou leurs cellules souches adultes homologues. Depuis les publications de l’isolement des CSPI de S. Yamanaka, beaucoup a été écrit sur leur pluripotence et leur capacité à être utilisés dans la croissance d’un plus grand nombre de types de cellules spécifiques. Deux questions principales sont au centre de ce débat. Le premier est la nécessité d’induire leur caractère « souche » en utilisant les quatre « facteurs Yamanaka » qui comprennent les facteurs de transcription (Oct3/4, Sox2, Klf4, c-Myc) qui doivent être introduits dans les cellules primaires différenciées.  La seconde est l’obligation de sélectionner et d’amplifier le nombre de cellules nécessaires aux interventions cliniques. Le minimum de 30 générations ou plus crée un risque réel de changements mutationnels qui peuvent fournir des avantages de croissance vers la transformation cellulaire et même des propriétés métastatiques pour les cellules donneuses. Par conséquent, la plupart des utilisations des CSPI sont pour étudier le phénotype cellulaire des patients, les changements génétiques associés à la maladie et le dépistage des drogues.

Les cellules souches adultes, en revanche, sont rares et représentent des cellules indifférenciées intégrées dans tous les tissus. Puisque leur rôle intrinsèque sont de rester quiescentes jusqu’à ce que les cellules normales du tissu meurent, où elles se divisent et remplacent ensuite les cellules manquantes. À l’heure actuelle, malgré les thérapies de transfert de moelle osseuse, leur utilisation est une contrainte, car leur isolement et leur croissance sont plus difficiles. Pourtant, en tant que thérapeutiques autologues, elles semblent plus sûres et le premier choix comme source de cellules donneuses pour la plupart des essais cliniques actuels dans les cellules souches.

Nourrir le monde

Une utilité surprenante des cellules souches dans le secteur privé est le développement de la viande cultivée en laboratoire. Cette sphère en expansion de la production de cellules souches devient rapidement une alternative à la nourriture végétarienne dans le domaine naissant de l’«agriculture cellulaire ». Pour la plupart, plusieurs de ces nouvelles sociétés de biotechnologie produisent des produits de « viande propre » en isolant et en cultivant une grande quantité de CSPI dérivées de tissus de vaches, de porcs, de poissons et d’autres. Différenciées en cellules musculaires et en combinant diverses cellules en tissus, elles deviennent les bases de la nouvelle « industrie de la viande propre ». Fait intéressant, les nouvelles publiques ont rapporté que l’un des investisseurs les plus connus est notamment le Dr Richard Klausner, l’ancien chef de l’Institut national du cancer des NIH. Il est clair, d’après cette émanation des CSPI, que le domaine de l’ingénierie alimentaire et biologique est d’une importance égale dans cette nouvelle orientation commerciale. Les CSPI, en tant que source comestible de protéines, suivent les règles sanitaires existantes et, à ce niveau, les propriétés de différenciation cellulaire sont un problème pour la qualité du produit et non un risque cancérigène présumé des changements génétiques des CSPI. Dans ces applications, c’est l’industrialisation et le traitement de la culture cellulaire qui est la préoccupation. Les productions industrielles d’un grand nombre de cellules, à travers >100 litres de systèmes de cultures cellulaires de bio-ingénierie est un facteur clé pour la rentabilité et une plus grande consommation de ces produits par le public.

Intérêt du Canada et investissement mondial. S’agit-il d’un domaine de recherche florissant ?

Pris ensemble, les progrès scientifiques dans les multiples domaines des cellules souches et de leurs applications cliniques, positionnent la médecine régénérative comme une activité académique importante pour la décennie à venir. En fait, cela a été reconnu par le gouvernement canadien grâce à des investissements dans le Réseau canadien de cellules souches (RCS) passés de plus de 15 millions de dollars l’automne dernier à 45 millions de dollars dans le récent budget fédéral. Ces décisions gouvernementales montrent qu’il y a des voies de financement dans ce domaine, et il est clair qu’il est nécessaire que des réseaux comme le MRM apportent une meilleure visibilité et des ressources à nos jeunes chercheurs dans le cadre de ces projets de recherche en expansion.

Il s’agit toutefois d’une « goutte d’eau dans l’océan » si l’on considère les autres pays du G7. Aux États-Unis, la Proposition 14 de financer la recherche sur les cellules souches de la Californie a été approuvée par les électeurs pour un montant de 5,5 milliards de dollars pour ce seul état. Au Japon, le gouvernement central construit une Silicon Valley de la médecine régénérative (magazine Forbes le 9 janvier 2020) avec plus de 388 milliards de yens (3,88 milliards de dollars) investis dans des entreprises dans le cadre du « Centre d’innovation Kyoto » avec une majorité d’entre elles étant dans la recherche en laboratoire et la médecine régénérative. En outre, la création d’une organisation pour promouvoir la croissance des technologies souches au Japon: le Forum pour la médecine régénérative innovante (FIRM) a le mandat de fournir au Japon et au monde des cellules CSPI de qualité clinique. Le mandat de l’organisation est clairement de promouvoir les écosystèmes de médecine régénérative les plus matures du Japon. La communauté européenne et le Royaume-Uni ont également produit des rapports enthousiastes sur la nécessité urgente d’investir dans ces domaines biomédicaux et industriels. Comme un résumé de la croissance de ce domaine, une évaluation vérifiée récente de ce marché qui apparaissent dans Market Watch le 26 avril 2021 a évalué le marché mondial de la médecine régénérative à 19,10 milliards de dollars US en 2018, indiquant que nous devrions assister à une croissance de 22,72% de 2019-2026 et pourrait donc atteindre 98,10 milliards de dollars US d’ici 2026. Pourtant, il faut aussi reconnaître de nombreux problèmes avec la situation actuelle, en particulier que le nombre d’essais cliniques n’a pas encore entraîné une plus grande acceptation dans les cliniques. En outre, l’absence de réglementations strictes a conduit à de nombreuses utilisations inappropriées des cellules souches, qui ont clairement terni le développement clinique et l’utilisation de ces technologies. (EASACFEAM Challenges and potential in regenerative medicine: a joint report from EASAC and FEAM. Académie nationale allemande des sciences Leopoldina, Halle (Saale)2020. Date d’accès : 3 juin 2020. Voir l’article ici).

Par conséquent, nous pouvons conclure qu’il y a un grand potentiel, mais encore beaucoup de défis à relever. Parmi ceux-ci : une meilleure compréhension de leur dynamique et de leur plasticité et le développement de véritables pipelines, ce qui est loin d’être établi à McGill. Cela exigera également de nouvelles lignes directrices en matière de réglementation médicale et juridique et d’éthique, qui ont été abordées par Cossu et coll. pour la communauté européenne (pour en savoir plus voir Giulio Cossu, Robin Fears, George Griffin, Volker ter Meulen Regenerative medicine: challenges and opportunities www.thelancet.com Vol 395 June 6, 2020. Voir l’article ici). Bien que le MRM ait commencé à investir dans l’éthique et l’information du public sur les cellules souches et la médecine régénérative, il reste encore beaucoup à faire pour nous positionner comme une source d’information impartiale et scientifiquement solide pour la population générale.

Qu’en est-il de nous à McGill ? Sommes-nous à la hauteur du défi ?

Il y a près de six ans, plusieurs chercheurs de McGill s’inquiétaient de voir qu’au Canada, les principaux efforts semblent centralisés vers un petit nombre d’universités et que bien que l’Université McGill ait d’importants efforts de recherche dans ce domaine, elle soit néanmoins mal représentée dans ces importantes organisations. Cela a conduit à la proposition de créer le réseau MRM. Pour mener à bien ce mandat, le MRM a reçu en mars 2019 un budget récurrent de 5 ans de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, un soutien important de la fondation Strauss et un généreux don philanthropique d’une donatrice, Mme Besner. Il a été décidé que le MRM serait ouvert à tous les chercheurs en cellules souches et en médecine régénérative (des étudiants aux chercheurs principaux) de toutes les facultés de McGill et des établissements affiliés.

Et maintenant ?

La création du Réseau MRM a permis à McGill de commencer à reconnaître qu’une université mondiale de premier ordre comme la nôtre devrait au moins examiner ce que nous faisons déjà et soutenir ceux parmi nos professeurs qui sont attirés par cette poursuite biomédicale et de plus en plus sociétale. Cette première étape est faite et, de notre point de vue, il n’y a pas d’autre choix que d’être impliqué dans ce développement académique. À quoi devrions-nous nous attendre à la fin de notre mandat de cinq ans ?
Selon moi, l’étape logique serait d’utiliser nos trois années restantes d’engagement pour créer, comme la plupart des 100 meilleures universités au monde l’ont fait, un premier Centre de médecine régénérative de McGill. Cela permettra d’assurer un terrain solide pour élargir les objectifs que nous avons entrepris dans le plan stratégique initial. Cela cristalliserait nos efforts à donner à la communauté de médecine régénérative de McGill à la fois l’infrastructure administrative et les ressources financières nécessaires à la viabilité à long terme de cette recherche universitaire. De plus, cela permettra à la communauté MRM de mûrir et d’examiner en temps voulu la possibilité de devenir un institut. C’est une voie qui a mené l’an dernier à la création par le Sénat de l’Institut du cancer de McGill.

Pour conclure

Je conclus cette lettre en vous invitant à nous fournir au MRM vos idées sur la façon dont nous devrions développer la prochaine étape de notre croissance. Notre coordonnatrice, la Dre Marine Christin, ou moi-même, accueillerons favorablement vos suggestions et commentaires à mrm@mcgill.ca.

Par ces derniers mots, je voulais également remercier tous nos collègues qui ont participé à nos comités et à nos activités. C’est leur effort collectif qui fait du MRM une organisation dynamique pour le développement de la médecine régénérative à McGill. N’hésitez pas à nous contacter, nous accueillons toujours votre participation.

Bien cordialement,
Michel L. Tremblay.

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